Roberta Garieri : En reprenant la conversation que nous avons commencée, je voudrais aller plus loin. Quel est ton point de départ dans l’art?
Peter Tomka : Poétiquement, le point de départ est me réveiller, me lever à minuit et oublier ce que j’ai pensé le matin. Il y a des rituels qui influencent le point de départ. Je sors et je pense à beaucoup de choses, je vais plus loin et une abstraction se révèle à cause des sentiments que j’ai ressenti pendant ce chemin. Au retour, j’ai un petit point de départ pour faire sortir les idées et en parcourant cette route figurative il peut exister quelque chose de concret avec lequel je peux travailler.
R.G . : En observant ton travail je me suis aperçue qu’il est performatif. Il n’est pas statique et à certains moments il me semble qu’il donne priorité aux mutations…
P.T. : Oui, mon travail est performatif, même si en relation à mon étiquette dans la société des artistes je suis photographe. Il y a toujours une performance qui fait l’objet ou le personnage pendant que je prends la photo. C’est-à-dire, la personne qui pose ou la lumière dans le paysage présentent une performance afin que la photo représente l’immatériel de sa performance avec quelque chose de physique. Une photo est réussie si elle arrive à représenter la difficulté de l’intangible, parce que le rôle de la photographie dans l’art est celui de rendre visible ce qui ne se voit pas. Vous ne voyez pas une performance si vous n’êtes pas là en train de regarder la performance. Pour cela une photo est une photo, un enregistrement d’une performance est une vidéo ou une documentation et une performance reste une performance.
Oui, les changements dans mon travail me permettent d’avancer.
R.G . : Une autre question en relation avec la précédente… quand sais-tu que ton travail est terminé ?
P.T. : Le travail est fini quand il est entre d’autres mains. Les musées sont les lieux où l’art va mourir et les collections des collectionneurs sont les lieux pour cacher les œuvres terminées.
R.G . : En lisant l’article de William Cooperman que tu m’a envoyé j’ai imaginé le cadre que tu as créé pour l’exposition A Bathroom Darkroom. Pourrais-tu me parler de cette tendance à créer des ambiances dans des espaces insolites ? Comme la salle de bain par exemple ou dans le bureau du Centre d’art Port Tonic, où cette année tu as été invité pour une résidence.
P.T. : Les environnements ont une place importante pour moi ; créer un projet dans un lieu insolite signifie reprendre l’espace et le recouvrir avec des secrets et des curiosités. Oui, la salle de bain est un espace insolite, nous le pensons en relation à une pièce et aux couloirs qui entourent ce lieu de refuge. Concernant le bureau, j’ai considéré ce lieu comme un espace lié au milieu de l’économie ou de la communication. Le fait de changer l’espace et de le présenter avec des propriétés nouvelles, même si l’on peut comprendre ce qui est à l’origine, cela veut dire emmener quelque chose à son niveau successif, c’est être habile. Je me suis habitué à utiliser les moyens qui sont disponible et pour ça j’ai travaillé avec des lieux rares.
R.G . : Pourrais-tu me parler de l’origine de la résidence à Port Tonic ?
P.T. : J’ai aidé un ami artiste, Ej Hill, pour terminer la construction d’une sculpture An Arrangement of Perpetuities. L’œuvre a été exposée pendant Future Generation Prize à Kiev, Ukraine. Après quelques semaines, l’exposition a été transportée de Kiev à Venise pour la Biennal de Venise 2017. Les commissaires ont demandé à EJ de faire une autre œuvre pour l’exposition Future Generation Prize à Venise. Initialement, nous avions planifié que j’aille à Venise pour l’aider avec An Arrangement of Perpetuities, mais à partir du moment où il était en train de réaliser la nouvelle œuvre, Pillar, je l’ai aidé pour les derniers détails. À la fin, nous avons décidé de faire une performance sur la montagne russe qui a été construite dans le patio du palais. Nous avons marché pendant 18 heures sur la sculpture.
Pour cela j’étais à Venise, mais l’origine de mon arrivé à Port Tonic est la suivante : un ami à Los Angeles, provenant de l’Iowa aussi, m’a présenté à son frère jumeau et à son mari. Pendant ma dernière nuit à Venise je suis allé diner avec eux et pendant la soirée j’étais assis à côté de Michele avec qui j’ai discuté toute la nuit. Les semaines suivantes j’ai voyagé en Europe pour travailler sur un autre projet et pendant que j’étais à Londres j’ai rencontré Michele pour déjeuner. C’est comme ça que Michele a eu l’idée de m’inviter à Port Tonic pour réaliser un projet pendant l’été.
R.G . : Avais-tu déjà un projet à développer ?
P.T. : Avant mon arrivée je n’avais pas un projet. Je voulais travailler sur les modalités de présenter les photographies et pour cela je développais Dry Period. L’idée est arrivée par différentes tentatives et par un jeu d’intuitions. J’ai toujours voulu prendre une photo polaroid (8.255 cm x 10.795 cm), d’une taille aussi petite, la digitaliser avec un scanner et l’imprimer en grand format et c’est avec ça que j’expérimentais.
R.G . : Quel a été le processus de création ?
P.T. : Après avoir fait quelques photos du lieu j’ai commencé faire une carte de Port Tonic pour comprendre où j’étais. Je les ai exposées sur le mur de ma chambre et sur le mur dehors où venaient publiés les annonces locales. Chaque jour la collection s’enrichissait avec plus de photos et d’autres matériaux, j’ai alors demandé à Port Tonic le bureau pour exposer mon travail final.
J’ai caché tout ce qui était dans le bureau et j’ai construit une sculpture en bois tout au long du périmètre de l’espace. D’ici j’avais déjà imprimé les photos en grand format et je les ai accrochées au plafond. D’abord, je voulais disposer la toile blanche bien serré, mais je l’ai laissée tomber sans la fixer. L’idée de la fluidité de la toile blanche était en accord avec l’environnement de l’eau et des lumières méditerranéennes. Dans ce coin de Port Tonic, la lumière est très présente car c’est le point le plus haut. Du lever du soleil jusqu’au coucher du soleil tous les éléments du paysage (le ciel, le soleil et les nuages) changent l’installation grâce à l’interaction avec la fluidité de la toile.
Pour ce projet j’ai fait des photos avec un polaroid. Ces photos sont comme un croquis, pour observer, voir comment la lumière tombe et comment nous percevons l’espace. J’ai alors pris des photos de ces dernières. Donc les photos accrochés sont : une photo de la collection dans ma chambre (Room, Engineer Print, 88x 130 cm, 2017), une photo du tableau dehors sur le quai où j’ai accroché quelques polaroids (On Board, Engineer Print, 88 x 116 cm, 2017), un autoportrait (Self Portrait, Engineer Print, 88 x 88 cm, 2017) et une photo de la vue du tableau de liège avec un escalier (Gate, Engineer Print, 88 x 130 cm, 2017).
Des lignes imaginaires se créent entre les photos accrochées du bureau jusqu’à ma chambre; le tableau en liège à l’extérieur sert pour connecter le projet avec les premières observations. J’ai voulu faire un guide, une carte, une boussole.
R.G. : D’abord ta volonté était que l’espace reste fermé, n’est-ce pas ?
P.T. : Oui, c’est vrai ! D’abord je ne voulais pas que les gens entrent dans le bureau car mon premier concept était de réaliser un cadre géant pour les photos. Dans un deuxième moment, j’ai arrêté d’être aussi rigide dans mon idée et j’ai ouvert les portes et j’ai laissé entrer le vent. Oui, je voulais que les gens entrent avec la force naturelle de l’espace. Bienvenu, profite !
R.G. : Depuis ta première exposition en 2010, l’image est toujours présente. Pourrais-tu me parler de ta relation avec le medium de la photographie ?
P.T. : Il s’agit d’une relation personnelle avec une volonté de comprendre l’espace autour de moi. La photographie produit des résultats que j’apprécie, ceux qui ont une compréhension de temps en temps semblable aux idées visuelles que j’ai dans ma tête. Je cherche une manière de prendre en photo ces idées.
R.G. : Pour terminer, en se détachant de la dimension formelle et intentionnelle lié à ton travail, je voudrais passer sur un niveau différent qui communique avec le temps. Est-ce que le contexte historique qui t’entoure est important ? De quelle manière s’insère-t-il ans ton travail et quelles pistes ouvre-t-il ?
P.T. : Je vois le contexte historique d’une façon pratique. L’importance je la trouve dans la possibilité d’être, celle d’exister en tant qu’artiste est la manière dont le contexte historique s’insère dans mon travail. Un indice serait que la vie d’un artiste survit en ayant une grande trajectoire. Dans ce dévouement exclusif, il est important que je reconnaisse les recherches d’autres artistes parce que cela m’encourage à continuer mon chemin.
Plus d’informations sur l’artiste: www.peter-tomk.at