-Souvenirs du 7ème Continent-
Ces amalgames sont les témoins d’une double invasion.
D’abord l’invasion de nos déchets plastiques dans les océans. Plutôt que de les jeter, j’ai collecté ces petites choses, fragments d’objets en plastique, résidus de biens de consommation inutiles à la durée de vie éphémère. Leur espérance de vie dépasse rarement quelques jours, quelques heures, voire quelques minutes pour ces petits jouets offerts avec des menus-enfant ou dans œufs en chocolat. L’intérêt que les enfants leur portent disparaît à l’instant même de leur déballage.
Contrairement aux emballages dont l’existence peut être justifiée par des fonctions de protection ou de promotion, rien ne peut excuser celle de la babiole, du jouet sitôt acheté – sitôt cassé, de l’objet promotionnel imposé au consommateur qui n’en a jamais eu envie.
Beaucoup d’entre eux finiront dans le même cimetière, l’un des deux vortex de déchets plastiques que l’on trouve dans nos deux océans, aussi nommé 7ème continent. Des continents de poubelles humaines regroupés par le hasard des courants marins et qui flottent sous la surface de la mer. Ces gyres sont constitués de toutes ces petites choses de plastiques dont nous nous débarrassons innocemment car nous n’en n’avions pas vraiment besoin finalement, ou parce que leur mauvaise qualité nous a déçus, ou bien encore parce qu’il nous faut faire de la place pour entasser de nouvelles acquisitions. Un cycle infini de production d’ordures qui finiront par nous ensevelir vivants.
La seconde invasion, c’est celle de nos enfants dans nos vies. L’accumulation de ces déchets dans ma maison s’est considérablement accrue avec l’arrivée de mon fils. Même en privilégiant les jouets en bois et en veillant à ne pas lui offrir trop de jeux, notre espace s’est trouvé envahi par ses possessions, petites ou grandes, offertes, trouvées, achetées. C’est une vague de figurines, voitures, super-héros, armes, pions, jetons, balles, toupies, avions en plastique qui sont venus occuper les coffres à jouets, les tiroirs, le dessous des meubles, les interstices entre les coussins du canapé et tous les espaces de la maison.
A chaque rangement, j’ai commencé à regrouper ces petits déchets, ne pouvant me résoudre à les jeter par culpabilité sans doute. C’est tout naturellement qu’ils ont pris la forme de figurines, comme autant de petits monstres protéiformes composés de choses cassées, dédaignées ou abandonnées. Ces souvenirs du 7eme continent sont à la fois une réinvention de l’enfance, la transformation de ce qui a servi, amusé ou agacé et un rappel de toutes les choses que nous laissons nous envahir par affection ou par faiblesse.
Ces amalgames laissent voguer l’imaginaire, selon la lumière ou l’angle sous lequel on les regarde, ils peuvent prendre des formes infinies, avenantes ou menaçantes. Groupés, ils peuvent s’apparenter à une armée de robots sophistiqués prête à nous envahir pour de bon.